Au Revoir Romain

J’ai appris la terrible nouvelle…
Romain est parti.
Pour de bon.
« Pour de bon » quelle drôle d’expression. alors que c’est si triste de savoir qu’on ne le verra plus promener sa longue silhouette
casquettée dans les rues de Bienne.
Pour de bon… mais peut-être, pour lui, c’est le cas ?
Pour de bon
dans un monde meilleur que celui-ci?
Celui-ci qui ne semble pas fait pour les gens sensibles.

Alors, c’est vrai, même si j’ai connu Romain il y a longtemps, quand il n’était encore qu’un ado,
mais déjà formidablement doué,
nous n’étions pas si proche.
Je ne saurais pas dire ce qui lui est arrivé.
Tout ce que je sais, c’est que sa disparition est une perte humaine et artistique irremplaçable.

Flash back :
Il y a 24 ans, rue des Armes, devant ma boutique, Alchimyx.
Arrive ce beau jeune homme au regard clair, et à la barbe naissante.
On discute.
On parle dessin, graff.
A cette époque , il voulait faire sa marque de t-shirt, avec ses propres impressions.
Internet était à son commencement, et moi encore incapable de surfer sur la vague.
Lui avait réalisé son potentiel, et bouillonnait de concepts.
Ses yeux s’éclairaient quand il parlait de ses projets.
Sa voix n’était pas encore si grave, mais il me semble que déjà, j’avais ressenti comme une sorte de fêlure en lui.
Comme une fissure qu’il essayait de combler.
C’est mon impression.
Une sorte de colère aussi..
Plus tard, on a parlé meuble en carton.
Quand je les vois, sur sa page Facebook, je ne suis pas étonnée de les découvrir : parfaits.
Élégants et sobres.
Comme il l’était.
Romain c’était la vie même…
Intelligent, éveillé, conscient.. peut-être trop conscient.
Certains ne le sont jamais assez, lui l’était peut-être un peu trop.
Quand on est sensible, il serait plus pratique d’être aussi stupide, pour ne se rendre compte de rien.
Et ne pas souffrir.
J’ai toujours ressenti la souffrance chez Romain, mais aussi la détermination.
Il savait qu’il était doué, et il en faisait quelque chose.
C’est ce que j’admirais chez lui.
Quand je le rencontrais en ville, il allait toujours quelque part.
On discutait deux mots et il repartait.
La dernière fois que je l’ai vu, c’était de loin, il avait beaucoup maigri.
Ca m’a choquée.
J’aurais du aller lui parler.
Mais non, je l’ai juste regardé de loin en pensant qu’il avait l’air malade.
Je ne suis pas très fière de moi.
Quand j’y repense, j’ai l’impression qu’il m’a vu aussi, avec mon air choqué.
Et que ce dialogue qui n’a pas eu lieu s’est produit quand même.
Que c’était peut-être mieux ainsi.
Plus supportable.
Quand on va mal, on n’a pas besoin de gens qui viennent vous le rappeler.

Romain est parti.
En laissant derrière lui ce qu’il a fait.
Ses dessins, ses meubles, si vous avez la chance d’en avoir, gardez-les précieusement, parce que c’est sa trace dans cette vie.
Celle qu’il marquait jour après jour courageusement, malgré tout ce qui aurait pu l’en empêcher.
La trace d’un homme courageux.
Sincère et direct.
Alors Romain, je ne te dis pas adieu, je te dis au revoir.
parce que je veux croire que tu es parti , non pas pour de bon, mais pour LE bon.
Le bon endroit ou qu’il soit, quel qu’il soit, ou toutes ces choses terrestres qui te faisaient souffrir n’existent plus.
Ce grand corps malade, ces tourments quotidiens, tu peux enfin les laisser derrière toi.
Reste ton âme, débarrassée des souffrances, légère , enfin.
Le jour ou la mienne s’envolera aussi
pour cette mystérieuse place où vont les âmes des personnes aimées,
j’y verrai la tienne
aussi.
Et là, on pourra discuter.

Que les gens, la famille, les amis proches qui l’ont connu et aimé mieux que moi me pardonnent, si mon impression n’est pas la leur.
Je leur adresse mes plus sincères condoléances.