Quand le pinceau m’appelle…

-Eh toi !

J’entends un bruit qui viens du côté de ma petite fille.

Je continue de regarder la télé.

-Youhooooooooooooooooooo!

Ca insiste.

Je regarde mieux.

Ma petite fille est en train de peindre un papillon, Avec une princesse en bas dans le coin.

Quelque chose en moi se réveille.

Ca fait des années  que je n’ai plus touché un pinceau.

Mis à part pour repeindre les murs.

Pourtant…

Les pinceau sont là, bien rangés.

Il y en a trois.

Moins celui qu’elle a pris.

Les deux autres me regardent, bien dans les yeux.

Et puis, juste ne dessous, il y a les tubes…

Peinture acrylique…

Pro.

Ma préférée.

J’essaie de résister.

Il y a des feuilles aussi.

Des grandes et belles feuilles blanches.

Ca fait beaucoup.

Je me lève.

Les pinceaux continuent de me narguer…

Ils crient tous ensembles :

-Prends nouuuuuuuus !

J’hésite… j’argumente…

-Euh, je pourrais aussi faire quelque chose, mas t’as que trois pinceaux..

Ma petite fille est toute contente, elle aime quand je participe à ses activités.

Mais elle ne peut pas savoir ce que ça représente pour moi, de reprendre un pinceau.

-Ben oui, dit-elle, j’en ai assez, prends celui que tu veux, un verre d’eau et une assiette.

Elle pense à tout.

Alors, comme dans un rêve, je vais chercher .

Je prends une BD en sous main et j’attaque.

Je me demande quand même.. est-ce que je sais encore ?

La main n’oublie pas, ça, je l’ai appris il y a longtemps.

A l’époque ou j’usais mes jeans sur les bancs de l’Académie de Meuron à Neuchâtel.

J’étais loin d’être l’élève douée que tout le monde remarque.

J’étais très jeune, 16 ans , et j’avais trop peur qu’on se rende compte de ma nullité.

Du coup, je n’osais pas.

Et la peinture, c’est aussi une histoire de vaincre sa peur.

Alors je commence.

Je lui explique ce que je fais, au fur et à mesure.

D’abord, les traits de construction, avec du jaune pâle, pour pouvoir repeindre dessus.

Ca sort tout seul.

J’ai du plaisir.

Aucune peur, aucune pression.

Seulement le regard aimant de ma petite fille.

J’ai envie de l’épater.

Alors je fais ce que j’aime  faire.

Ce que je préfère depuis toujours.

Des femmes avec des robes à cerceaux.

Inspiration Peau d’Ane et ses robes fantastiques, couleur soleil , couleur du temps.

Inspiration Sissi, tout les Sissi vu revu et rerevu les après-midis en noir et blanc et en couleurs sur le vieux poste du Prévoux chez ma Tante Francine et mon Tonton Papin.

Avec ma cousine Fabienne, mon cousin Christian.

On se tassait sur le canapé, et c’était parti pour deux heures de rêve à la suivre dans ses aventures.

Il faut dire que les costumes, les coiffures aussi étaient … wouaw…

les mots me manquent.

Sublimes.

Un travail de fou des costumiers de l’époque.

Tiens d’ailleurs je vais faire une petite recherche, voir ce que je trouve à ce sujet.

Je sais que certaines coiffures couronne comprise, pesaient plusieurs kilos.

Mais les robes? que dire sur les robes, mis à part leur splendeur ?

Rendons lui hommage : Gerda Gottstein.

Couturière allemande et juive , dont les parents furent déportés et périrent en camp de concentration.

Elle , vécu jusqu’à l’âge de 97 ans et créa toutes les robes fabuleuse de la fabuleuse aussi Romy Schneider.

Sa beauté, sa pureté me transperçait à chaque film.

J’ai vu récemment le troublant film : trois jours à Quiberon, avec

une actrice qui lui ressemble étonnement, jouant son rôle.

Romy Schneider… mérite un article à elle toute seule.

Revenons à la peinture.

Chez ma maman il y a une autre de ces princesses que j’aime tant faire.

En faisant mes recherches, j’ai trouvé une photo d’elle, descendant la prairie en robe claire, et je l’ai reconnu.

Mais quand j’ai fait la peinture, je n’avais pas réalisé que je reprenais cette image…

Comme quoi , les costumes de Gerda sur la silhouette juvénile de Romy pour son rôle de Sissi, la vraie Sissi aussi dont les robes étaient parfois cousues directement sur elle, ont fait plus qu’apporter du rêve.

Elles nous ont marqué. A vie.

Je ne peint pas seulement des robes avec des princesses dedans :).

Mais c’est ce que je préfère.

Quand à la peinture en elle-même, elle ne me quittait pas.

C’était un besoin de plus en plus présent.

Et ce qui est étrange.. c’est que plus j’allais mal et plus je peignais des femmes heureuses.

Des femmes fortes, magnifiques, dans le sens hyprer-féminine,

se présentant de face, avec les bras ouverts.

Jusqu’à mon oeuvre majeure :  ça fait si longtemps il me semble, au moins 20 ans. donc je ne me souviens plus du chiffre exact.

C’était une série. Entre 10 et 20 femmes.

Grandeur nature.

1,m 72 chacune, plus le tour.

Donc des tableaux d’environ deux mètres de hauteur chacun.

Toutes différentes.

Dans leur expression , dans leur couleur de cheveux, dans la technique et le support utilisé.

J’allais les présenter, dans une grande exposition au Pasquart…

une exposition collective ou j’étais si fière de participer dans cet établissement prestigieux.

Et puis… le ciel m’est tombé sur la tête…

Le feu a envahi mon appartement et tout ce qui n’as pas brûlé puait la suie… Certain de mes tableaux étaient complêtement carbonisés, d’autres curieusement brûlés, et la plus grande partie n’existait plus,

du tout.

Le genre de chose qui vous coupe le souffle.

Qui vous laisse pantois, le cerveau sur « arrêt ».

S’il n’y avait eu que mes tableaux… mais tout le reste de ma vie y est passé aussi.

Sauf mes poissons.. un vrai miracle.

Enfin bref.

Pendant un moment je ne pouvais plus peindre.

Un vrai blocage.

Et puis , je ne sais pas combien de temps plus tard, on m’a proposé de faire une grande fresque, dans le magasin ou je travaillais.

Tout un mur, rien que pour moi.

J’ai fait une femme, avec des oiseaux dans les cheveux.

Mais le plus intéressant dans cette histoire, c’est que ma façon de peindre avait changé radicalement.

Pas dans le thème, ni la technique, mais dans la rapidité.

Parce que le pire était déjà arrivé à ma peinture.

Donc je n’avais plus peur.

Alors je l’ai fait vite, beaucoup plus vite.

Plus nerveusement, plus instinctivement.

 

La vie à continué, et encore une fois, quelque chose s’est passé , qui m’a rebloqué.

Des années cette fois.

Quand je prenais un pinceau, c’était pour des gros travaux.

J’ai utilisé la tablette graphique, un outil qui permet de peindre virtuellement.

D’imiter la matière.

Hors ce qui donne de l’émotion a un tableau c’est aussi la matière.

Les structures, le volume, le relief, même si il est très léger, donne du mouvement, de la vie, de l’expression.

Je n’aime pas trop expliquer ma peinture, je préfère laisser les gens s’imaginer ce qu’ils veulent.

Parfois, je ne la comprends pas moi-même.

Ces princesses que je fais, je ne sais pas pourquoi je les faits.

Je sais pourquoi je les aime, mais j’aime aussi les animaux par exemple… et d’autres choses.

Mais voilà, quand je prends un pinceau, je dessine des femmes.

Quand je fais des visages, je commence par les yeux.

Pourtant, j’ai appris les proportions, à faire une esquisse avant pour qu’elle soient justes.

Mais je ne m’y riens pas à tout les coups.

En peinture, je crois que la technique est faite pour être oubliée au profit de la spontanéité.

Qu’il faut savoir s’arrêter pour ne pas gâcher la beauté d’un trait.

Peut-être que certains se diront : mais quelle grosse gonflée!

Elle fait deux trucs et elle se la joue déjà artiste peintre…

C’est possible, c’est peut-être aussi ce que je penserais si je ne savais pas ce qu’est l’Art.

L’Art, ça ne se défini pas.

Ca se ressent.

Ou pas.

Et puis, je vais vous dire le plus extraordinaire là-dedans :

Ca fait bien des années que je fais de la photo, que j’écris et maintenant que je fais des bijoux chez moi, à la maison dans

l’indifférence totale  de ma progéniture.

Et là, ce soir,

pour la première fois,

mon fils a regardé ma peinture,

vraiment regardé,

Et il a trouvé ça bien.