Journal biennois d’une pandémie : jour 6 premières tensions et Claudia Cardinale

Imperceptiblement, on le remarque..

même moi, je suis nerveuse.

Quand je sors avec ma petit fille, je l’empêche de toucher les rampes d’escalator, les portes… je l’oblige  à se désinfecter à toutes les entrées de magasins.

Mais j’ai l’impression qu’elle ne m’écoute, pas, et comment pourrait-elle avoir conscience de tout ce qu’il se passe, à 9 ans…

La Coop est ouverte, mais les choses ont changé depuis hier.

Un couloir de grilles oblige les rares clients à attendre,

Nous sommes triés, numéroté.

Dans l’immensité du centre commercial de la gare, ou tout les autres commerces ont fermés, nous sommes encore moins que hier.

Ce qui est plutôt une bonne nouvelle.

 

Je cherche une responsable pour lui demander ce qu’ils font des invendus.

Elle me réponds qu’ils ont contactés des institutions et s’organisent pour leur porter les invendus périssables.

Je sais que Manor le fait déjà.

Les sandwiches et pâtisseries sont amenés à des bénévoles qui se chargent de les distribuer. Il m’est arrivé d’en bénéficier.

Dans la rue je remarque des geste d’humeur.

Je ne suis pas la seule à être nerveuse.

Un jeune homme se nettoie vigoureusement les mains, à l’arrêt du bus.

Je le regarde au passage et il me lance :

-Y’en avait un qui n’arrêtait pas de tousser !!!

Criminel.. deux fois criminel.. il est malade et il prends le bus…

Je dis ça au deuxième degré, mais dans le fonds, on en arrive là :

Tousser est très mal vu.

C’est normal, dans un sens parce que si on est infecté, il faut éviter à tout prix d’être contagieux et rester chez soi.

A la Coop, un beau jeune homme au regard intense  me fixe de loin.

Il a une sorte de masque, comme dans les films d’action japonais.

Avec sa capuche et ses habits noirs, il est juste magnifique.

Je remarque, à ses tatouages sur le cou , que je le connais.

J’en profite pour le complimenter sur son look pré-apocalyptique qui lui sied à ravir.

Quand à moi ,j’ai adopté le style « Dr.Smith » dans Lost in Space, version 2019.

Habits amples et confortables, laine et coton. Couleurs naturelles.

A la télé pendant ma série sur la TSR, les recommandations du conseil fédéral défilent… la Suisse compte sur nous.

En parlant de ma série, ..eh bien oui, parlons-en justement.

Une série suisse, rare qu’elles trouvent grâce à mes yeux.

Tant d’habitude, elles ne sont que de très très pâlottes copies de ce qui se fait ailleurs.

Comme si nous n’avions pas déjà tout ce qu’il faut.

Et celle-ci, réalisée brillement par Anne Deluz, la regrettée Anne Deluz, puisque c’est sa dernière oeuvre.

Saleté de cancer…

D’ailleurs, c’est aussi le thème de cette histoire simple, mais intense, avec des acteurs très justes, et une Claudia Cardinale exceptionnelle.

Eh oui la fabuleuse Claudia, cette actrice légendaire du Guépard de Visconti interprète une grand-mère italienne habitant en Suisse avec une justesse incroyable.

Tant elle me fait penser à ces gens établi ici depuis si longtemps qu’ils en oublient qu’ils n’y sont pas nés.

Un rôle dur, complexe, elle se maquille, mais mal, et aucune de ses rides n’est cachée.

Au contraire, et même ses dents sont comme celle d’une femme qui à fait passer sa famille avant ses propres soins.

C’est ce que j’aime dans les séries, les bonnes, actuelle, la vérité, l’authenticité des personnages priment.

Et tout ces acteurs qu’on appelait plus parce qu’ils ont trop vielli, se voient donner  une deuxième chance de briller.

La série s’intitulle Bulle, comme la petite ville du canton de Fribourg.

Et tout sonne juste

Pas de gros mystère, ni de scène choc, mais des personnages  qui pourraient être de notre famille.

On suit , épisode après épisode, l’histoire de chacun  d’eux et ses relations compliquées avec les autres.

Avec cette nona en fil rouge.

Une grand-mère qui préfère sa petite-fille à sa fille.

Qui est un peu raciste, méchante même , parfois.

Parce que l’amour qu’on porte aux uns nous rends parfois injuste avec les autres.

Donc voilà, faire une série suisse réussie c’est possible.

J’aimerais en écrire une qui se passerait à Bienne.

Nous avons tous les ingrédients pour en faire une captivante.

Tant de gens , tant d’histoires de vie extraordinaires que j’aurais envie de raconter.

Ce qu’on vit là, en ce moment, dans le monde en entier, c’est totalement inédit.

Ma mère dit que ça lui fait penser au début de la guerre.

Quand soudain la peur c’est installé dans son ptit village du haut,

dans le canton de Neuchâtel.

Quand il fallait éteindre les lumières le soir, afin d’éviter les bombardements.

Cette plaque qu’elle devait porter pour qu’on puisse l’identifier au cas ou.

La guerre…

Finalement, c’est la guerre aussi.

La guerre contre un tout petit ennemi invisible.

Au kiosque de la gare, la vendeuse m’avertit,  fini de payer avec des billets.

IElle fait une dernière exception pour mon paquet de tabac, mais désormais il faudra payer par carte.

Comment on va faire, nous les pauvres  qui n’avons pas de rentrées d’argent suffisantes …

J’aimerais être solidaire, je le suis dans la  mesure du possible.. j’ai repris ma petite-fille.

Mais comment je vais faire si la situation s’éternise ?

Je ne ferai pas partie des gens dédommagés par la Confédération.

Mais je suis en bonne santé, c’est déjà ça.

Dans les pays voisins c’est la catastrophe…

Je reprends du plaisir à lire.

J’ai toujours adoré ça.

En ce moment je lis la biographie imaginaire de Catherine Parr, qui épousa Henri 8.

Très bien documenté.

On s’y croirait.

Et là, je prends des nouvelles de ma petite Daniela,

Mon petit tas chéri.

Qui est parti  à l’âge de 16 ans, pour toujours en Italie avec ses parents.

Daniela c’était mon roc.

La fille  à la fois la plus sage et la plus drôle que je connaissais.

Je l’appelle mon ptit tas et elle m’appelle mon grand tas.

A cause de notre différence de taille.

Je l’adore.

On ne s’est revue que deux fois en plus de 30 ans, mais chaque fois, c’est pareil.

Comme si  on s’était quitté la minute d’avant.

Quand elle est partie, c’était le drame.

Heureusement pour elle, ça c’est bien passé.

Elle à trouvé l’amour, en la personne de Claudio qui fait bien deux mètres de plus,

et ils ont eu un fils, Paolo qui réussit brillement ses études universitaires.

Je me suis toujours demandé ce que ma vie aurait donné si elle était restée.

Pour moi ça a été plus dur.

Mais c’est une autre histoire.

Aujourd’hui, Dieu merci, j’ai des amies très chères à mon coeur.

Mais quand on a 16 ans, c’est autre chose…

C’est peut-être pour ça que tout ces jeunes que je vois au bord du lac,

en grappe, ne se quittent pas.

Dans ces moments qui ont de quoi faire flipper,

ils se raccrochent à ce qui compte le plus pour eux.

En fait, ils ne sont pas inconscients, ils sont au contraire trop conscients.

Gavés de jeux et de séries catastrophe toute leur vie, ils se rapprochent de leur tribu, prêts à mourir ou survivre ensemble.

… Pour finir sur une note joyeuse.

Dans cette histoire, il y en a une qui trouve son ompte.

J’ai une petite minoute, dans ma collection de chat.

Et comme on doit rester à la maison, je m’installe sur la terrasse et je lis.

En débardeur, parce qu’il faisait chaud cet après-midi.

Tout mignonne, elle saute sur mes genoux, se blottit contre moi…

pour me lécher les dessous de bras.

Aussi longtemps que durera l’épidémie,

ça ne sera jamais assez long,

pour comprendre ce qu’il peut se passer

dans la tête d’un chat.